Couleurs
d'Ailleurs
En Asie du Sud-Est pour une
année, je tiens par ces quelques écrits à
vous faire partager des points de vue et des sentiments cueillis
au gré des humeurs sur mon chemin. Comme un carnet de route
en quelque sorte... Aucun objectif réel à ces
chroniques, si ce n'est d'essayer parfois de raconter par des
tableaux ce que je vis et comprends (ou crois comprendre)...
J'espère souvent réussir à vous
entraîner avec moi et à vous donner des envies
sincères d'aller chercher autrement...

Magie flottante et bouleversante d'Angkor
Wat.
Photo d'Alix Trauffler
Mon Cambodge
Nous sommes restés trois mois dans la capitale
khmère et l'avons quittée avec quelques regrets, vu que
l'ONG pour laquelle nous travaillions bénévolement n'a
malheureusement pu nous garantir un salaire digne de ce nom. Avons
donc, à certains égards égoïstement
décidé de reprendre la Route... Sommes en
réflexion et repos sur une plage thaïlandaise en
direction du sud du pays. Endroit qui n'a d'ailleurs de
Thaïlande que la terre, car "germanisé" et
"scandinavisé" à l'extrême! Vous en écris
des pensées bientôt...
Kampuchéa donc... J'ai aujourd'hui un relatif recul sur
notre vécu et vous invite à entrer avec moi dans ce
pays blessé, mais qui tente de sourire férocement
à l'avenir... Même si...
Coup monté ou
bêtise
Quelques jours avant notre départ du pays, de violents
incidents ont éclaté à Phnom Penh et nous avons
eu l'occasion d'y assister "en direct", entre effroi et
incompréhension.
Une célèbre actrice thaïlandaise a
prétendument déclaré qu'elle refuserait de venir
au Cambodge, tant que les fameux temples d'Angkor (vitrine
touristique du pays) n'étaient pas restitués au Royaume
du Siam, la Thaïlande actuelle. Propos que l'actrice a par la
suite formellement démentis -plongez-vous dans tous les
récits d'Angkor et vous comprendrez dès lors
aisément les tensions et conflits qui ont traversé
l'histoire de ces deux pays...- Il était trop tard; le mal
était fait!
Dès que ces déclarations furent découvertes
dans la presse cambodgienne, la colère s'est
déclenchée! Mise à sac de l'ambassade de
Thaïlande (avec une violence inouïe) et pillage de tout ce
que Phnom Penh comptait de thaï (agence de voyages,
hôtels, et j'en passe...)
Ce déchaînement furieux a entraîné
l'évacuation immédiate de tous les ressortissants
thaïs du Cambodge et une importante crise diplomatique entre les
deux pays, très mal venue cela dit pour les Khmers.
Effectivement, se priver de l'appui thaïlandais apparaît
comme une hérésie de la part des Cambodgiens, surtout
dans le contexte de reconstruction économique toujours
très difficile dans lequel semble s'être engagé
le pays.
Notez encore, pour mieux comprendre, qu'une photo du roi
thaïlandais a été brûlée devant les
caméras de télévision, ce qui a provoqué
une réaction plus qu'abrupte et sèche de la part des
autorités thaïes qui ont aussitôt
décidé d'expulser tout ce qui est cambodgien de leur
territoire!
Au moment de passer la frontière en quittant ce si beau
pays, j'ai d'ailleurs assisté à une de ces expulsions.
A quelques mètres de moi, sous mes yeux... Frissons,
tristesse, car nulle complaisance ne transparaissait dans la
manière employée.
Pour revenir à cette révolte, tout paraissait
étrangement organisé dans le
démantèlement des lieux thaïs. En évoquant
ces pillages avec des connaissances quelques jours après les
événements, beaucoup d'entre elles prétendaient
qu'il s'agissait en vérité d'un coup monte par le
premier ministre Hun Sen... Peut-être pour démontrer son
autorité à quelques mois des élections
législatives suscitant toutes sortes de contradictions dans ce
pays. Comment est-il possible qu'en une heure seulement ces jeunes
étudiants aient pu ravager tant de lieux thaïs si
distinctement?
La rumeur gonflait et très vite, tout le monde a
parlé d'un plan de route précis distribué aux
étudiants par des gens du pouvoir. Mais tout est si flou et
complexe dans le système politique cambodgien qu'il est
pratiquement impossible de tirer quelque conclusion définitive
que ce soit. Hun Sen est considéré, car il a
ramené la paix, mais honni souvent des Cambodgiens pour
l'usage peu démocratique qu'il fait du pouvoir. C'est un
stratège politique rusé qui est parvenu avec le temps
à éliminer toute opposition réelle. La seule
voix influente qui semble demeurer encore est celle de Sihanouk,
toujours roi et rescapé miraculeux du régime khmer
rouge, même si elle apparaît très souvent plus que
timidement pour se distinguer de Hun Sen et des siens.
Beaucoup d'expatriés craignent les élections de
juillet, car le pays est instable et d'après certains: "On ne
voit pas pourquoi ils ne s'en prendraient pas un jour ou l'autre aux
Occidentaux ou encore aux Vietnamiens..." Loin de moi le souhait de
diaboliser ce pays que j'aime et ai aimé, mais plutôt de
témoigner sincèrement de ce que j'ai vu et
entendu.
Le gouvernement cambodgien s'est depuis lors engagé
à rembourser tous les frais engendrés par les tristes
événements du 29 janvier 2003. La somme
représenterait, d'après le quotidien national
thaïlandais "Bangkok Post" qui n'a cessé de faire ses
choux gras des événements, 8% du budget actuel du
Cambodge, et ce dans un des pays les plus pauvres du monde... Cela
fait très, que dis-je, trop mal...
"Cambodge Soir", seul quotidien français du pays, n'a pas
pu couvrir librement ces agissements. La présentation des
faits a été dictée par le pouvoir; et cela se
sentait à plein nez à la lecture de textes abjects qui
étaient de véritables plaidoyers en faveur de Hun Sen.
La liberté de la presse semble souffrante au Cambodge...
Wolinski, que je ne vous présente pas et que nous avons
rencontré a travers une conférence au centre culturel
français de Phnom Penh, en a d'ailleurs témoigné
dans de récents numéros de "Charlie Hebdo". Il y relate
notamment une rencontre poignante avec l'unique dessinateur de presse
du pays, censuré quasiment une fois sur deux.

Une Apsara... Un des symboles de la
culture khmère; ces danseuses célestes
permettaient aux rois de communiquer avec les forces divines.
Photo d'Alix
Trauffler
Sachez encore que ces jours-ci, Sihanouk, qui évoque de
plus en plus son retrait, a décidé de gracier les 60
étudiants toujours emprisonnés à Phnom Penh et
de les faire libérer. "Ces jeunes ne sont pas responsables de
ce qu'ils ont commis", a-t-il déclaré à la
presse.
Cette Française
Je souhaite encore vous faire part d'une rencontre liée
à ces événements. A la suite de cette nuit de
heurts, j'ai essayé de l'apaiser en parlant longuement avec
elle. Son ami thaïlandais a dû quitter le Cambodge
précipitamment. Elle "a la haine..." Le dégoût et
la colère rythment ses intonations lorsqu'elle m'explique
qu'elle sentait le coup venir depuis quelque temps
déjà. Elle est arrivée ici il y a quatre mois
pour enseigner le français à l'université de
Phnom Penh. Elle m'évoque longuement, des tremblements dans la
voix, son ami, peintre des rues, qui avait une semaine auparavant
déjà été pris à partie par des
Khmers, essuyant insultes et quolibets, desquels il s'était
tiré sans mal; de ses étudiants aussi qui ne parlent
depuis peu que de casser du Thaïlandais dans leurs
écrits... Que va-t-elle faire? Rentrer en France? Essayer de
retrouver son ami avec lequel elle ne sait comment renouer le
contact? Eh oui, lui n'a pas d'e-mail et ne parle que très peu
l'anglais... Son coeur semble aux abois. Elle est complètement
"sonnée"... Qui ne le serait pas?
En la quittant, je lui glisse encore un "bon courage" qui me
paraît bien dérisoire.
Tout cela semble bien noir, devez-vous penser. Non, le Cambodge
est un pays merveilleux qui s'ouvre de plus en plus au monde
extérieur et je vous encourage à vous y rendre au plus
vite! Bientôt, vous saurez...
Je n'ai pas encore l'impression d'avoir commencé mon
récit, mais sachez avant toute chose que nous avons
abordé et vécu ce pays sous un angle difficilement
heureux, au vu du contexte dans lequel nous avons été
plongés dès notre arrivée le 13 novembre
2002.
Précision
Joies, tristesses, interrogations, espoirs et sincères
envies ont peuplé notre quotidien rempli de couleurs et
saveurs auxquelles nos esprits se sont accrochés. Quant
à nos coeurs, ils ont continué tout au long de notre
séjour à se laisser séduire et ont su,
malgré beaucoup, s'émerveiller au plus fort.
Malgré, ai-je écrit, car le tableau de l'horreur nous
est souvent apparu à travers la raison pour laquelle nous
sommes demeurés ici.
Je souhaite vous témoigner d'une pensée. Le
récit de voyage se veut parfois idéaliste ou
plutôt embelli pas les beautés croisées, ceci si
l'on souhaite conserver uniquement les aspects merveilleux
absorbés, sans nos sentiments et notre réflexion
épurée de tout malaise, mélancolie et critique.
Je ne souhaite jamais dans mes textes être définitif,
car cela me semble constituer en voyage l'élément le
plus arrogant, donc le plus dangereux. Passée cette
précision, spécifiquement personnelle, je poursuis de
suite l'évocation de la patrie khmère en plusieurs
touches et vous propose des chapitres entre lesquels vous pourrez, si
vous le souhaitez, faire des liens de cohérence sans trop de
problèmes. Comme entre une homogénéité
d'un vécu et ses différences qui virevoltent.
Ce pays
On le nomme le "Pays du sourire", et cela nous a paru très
vite entièrement justifié. Sans aucun
stéréotype (quoique parfois j'aime le cliché,
entre une volonté naïve et une humilité à
conserver toujours), la gentillesse et la bienveillance des gens se
démontrent sans cesse et le quotidien s'en trouve ainsi
porteur de vrais soleils. Les visages d'ici permettent de croire,
dans un élan de candeur, ont une espèce de
sincère bonté. C'est bien plus qu'agréable et le
fait de nous être installés à Phnom Penh a
répondu pleinement à nos attentes d'approfondissement
à tous les niveaux.

Regard inquiet d'une très belle enfant cambodgienne.
Victime sous peu d'un chasseur de chair fraîche?
Photo d'Alix
Trauffler
Ces sourires qui semblent donc vrais, chaleureux, puissants et ce
malgré une histoire proche qui n'en finit pas de
véhiculer son cortège de fantômes
génocidaires. La clique de Pol Pot a marqué a l'encre
rouge la vie des gens. Et quoiqu'en disent certains, qui pensent que
tout cela appartient au passé et qu'il faut vivre au
présent (je n'ai jamais cru au présent sans
mémoire), cela se ressent encore parfois violemment dans de
nombreuses approches du pays.
Une vision d'horreur
Je vous emmène à Tuol Sleng; la prison S21,
installée à l'époque dans une école par
les Khmers rouges, retentit encore des cris des innocents
massacrés entre 1975 (décrétée
année zéro par Pol Pot et les siens) et 1979.
Aujourd'hui, c'est un musée et on se promène en ce lieu
hagard, sans comprendre. Et l'effroi vous saisit tout entier
très rapidement... Sans que cela ne soit notre histoire
(même si les camps de concentration ne sont pas loin), on
s'écrase une fois de plus contre cette espèce de
délire schizophrénique et insensé qui nous
laisse de glace. Après des chambres vides nous signifiant
qu'ici le pire a été commis, s'alignent ensuite devant
nous des photos de visages à l'infini, comme pour nous
répéter encore et encore que près de 2 millions
de Cambodgiens ont été éliminés durant
ces années de terreur. Les champs de bataille et de massacres
ne sont d'ailleurs pas très éloignés de cette
école. Ce sont les très fréquentés
"Killing Fields".
Toujours en ce lieu glaçant et après ces visages en
appelant à la vigilance de notre mémoire, ce sont des
peintures réalisées par un Khmer rouge qui nous
témoignent de l'indescriptible violence des supplices
infligés. La "visite" se termine souvent dans une salle
obscure où une vidéo est passée en boucle. Un
ancien Khmer rouge nous décrit entre peur et rejet les
exactions commises et les tortures auxquelles il a assisté.
Affolant...
Sous ce régime de terreur, il est important de rappeler
que ce sont les intellectuels (chercheurs, écrivains,"profs",
etc.) qui ont été exterminés prioritairement par
Pol Pot et ses alliés, car ennemis jurés du renouveau
imaginé. Pour la petite histoire, Pol Pot avait quelques
années auparavant échoué au bac en France.
Peu après notre arrivée à Phnom Penh, nous
avons eu la chance de rencontrer une femme, Ly, professeur à
l'époque des Khmers rouges et rescapée.
Ly
Elle est aujourd'hui âgée d'une cinquantaine
d'années et a quitté (fui) le Cambodge il y a 22 ans.
C'est la première fois qu'elle refoule la terre de son pays
depuis son départ forcé... "Je n'étais pas
prête et ne le suis d'ailleurs toujours pas...", nous
dit-elle.
Mais sur l'invitation d'un journaliste de TV5, elle a
accepté d'aller à la recherche des gens qui avaient
compté pour elle, la plupart évidemment disparus, et de
témoigner en retournant aux endroits qui l'ont vue
humiliée, purement et simplement, car étant professeur,
elle signifiait danger. Elle raconte: "En 1975,la ville de Phnom Penh
a été complètement vidée de sa
population. Tous les hommes et femmes (les enfants étaient
épargnés) ont été envoyés
travailler dans les rizières. Il fallait pour les Khmers
rouges faire table rase du passe et recommencer. Donc d'abord se
rééduquer...
Pendant 4 ans, dans des conditions inhumaines, -plus de 10 heures par
jour-, j'ai travaillé dans les champs sous les regards
complètement fous de mes bourreaux (il a été
prouvé aujourd'hui qu'un bon nombre des Khmers rouges usaient
et abusaient de drogues diverses avant d'exécuter froidement
leurs victimes). Pour ne pas mourir, j'ai joué à
l'idiote constamment. Lorsqu'on me posait des questions, j'ai encore
aujourd'hui cette impression étrange qu'il fallait
répondre le plus bêtement possible et surtout cacher
toujours au mieux ma profession. C'est certainement ce qui m'a
sauvée..."
Après ses trois semaines de retrouvailles avec le
Cambodge, elle poursuit: "J'ai tout retrouvé; ce que j'avais
construit de mes mains près de Mondolkiri (à l'est du
pays), et même certains membres de ma famille et des amis.
Malheureusement, beaucoup ont été tués. Cela est
toujours si précisément inscrit en moi; c'est tellement
là et je n'oublie rien..."
Elle nous raconte ensuite comment elle est passée durant
ses quatre années de captivité du bouddhisme au
christianisme; un long chemin spirituel qui l'a profondément
aidée au cours de ces temps d'horreur. Ly est actuellement
professeur de bouddhisme dans une université
marseillaise.
Elle nous commente encore brièvement le pays aujourd'hui:
"Je suis pessimiste. Les Cambodgiens sont paresseux et ne pensent
qu'à l'argent qu'ils peuvent soutirer du tourisme
grandissant... Mais eux... Bon, je sais, la corruption, l'argent
détourné, le pouvoir, Hun Sen... C'est vrai, peu
d'éléments jouent en faveur de ce peuple qui est encore
le mien. Mais ce pays est instable et je crains fort les
élections législatives de juillet..."
Avec le recul, je trouve ce point de vue bien noir. Phnom Penh
où nous venions de nous installer a encore trouvé de la
place dans ses propos. "La ville était belle; aujourd'hui il
ne reste rien, à part certains bâtiments coloniaux
délabrés. C'est bien triste..."
Nous la quittons; elle nous souhaite bonne chance dans nos
volontés humanitaires. Nous sommes sous le choc... Cependant,
cela apprivoise nos visions et découvertes et nos yeux se
posent partout...
Une lecture passionnante que je conseille:
"Le portail -Ancien prisonnier des Khmers rouges-" de
François Bizot, un Français qui vit encore aujourd'hui
à Phnom Penh. Cela se trouve dans la collection Folio.
Phnom Penh
Nous y avons vécu pendant près de 90 jours.
Ce dont Ly nous a témoigné à propos de la
ville est sûrement vrai, mais notre découverte n'avait
pas de mémoire et s'est faite sans référence
aucune. Donc... Vous parler de cette capitale est aussi pour nous
comme un reflet de la fluctuation de nos pensées...
C'est une ville assurément passionnante qui "grouille" de
gens, motos (ah, les chutes, nous en avons fait quatre, heureusement
sans conséquences...), voitures absolument partout et ce dans
un chaos inépuisable. C'est vivifiant, mais souvent fatigant
dans la vie de tous les jours. Heureusement, il y a le Tonle Sap,
rivière traversant la ville en son centre et apportant son lot
de fraîcheurs bienvenues... Le Tonle Sap (qui est aussi le nom
du plus grand lac cambodgien) est le théâtre chaque
année de la fête des eaux (peut-être
l'événement festif le plus populaire au Cambodge;c'est
effectivement en novembre de chaque année que le cours des
eaux de la rivière, un confluent du Mékong, s'inverse).
Tout cela donne lieu à des célébrations
magnifiques.
A cette époque les rues sont envahies et
surpeuplées de gens accourant de toutes les campagnes alentour
pour célébrer l'événement. C'est magique
et terriblement vivant... Du monde partout, des courses de bateaux
sur la rivière, des gens chantant et cette sensation
bienfaisante d'assister à quelque chose de bien plus que
particulier.
Phnom Penh, c'est aussi son Palais Royal, majestueux et tant
révélateur du génie de la culture khmère,
des splendides temples, témoins de ce bouddhisme qui nous
éloigne et nous rapproche à la fois de la culture
asiatique. Quelques échanges avec des moines nous ont à
nouveau amené leur part de bonheur, entre questions et
vérités... Et ces extraordinaires marchés,
central et russe, aux couleurs invraisemblables.
Et la vie nocturne... Les expatriés, en majorité
français (encore), qui expriment folies, désespoirs,
perditions, mais parfois aussi conquêtes...
Phnom Penh et ses touristes, comme nous à la base, mais
avec moins de temps... Le Cambodge frôle le million de
visiteurs cette année et espère grandement à
l'avenir faire décoller son économie encore plus par ce
biais, ce qui donne déjà lieu à la concurrence
la plus acharnée (hôtels, guides, Internet, Angkor
par-ci, Angkor par-là, etc.) C'est une ville où nous
nous sommes plu; nous avons appris à l'écouter dans ses
détails, même si le temps fut de toute façon trop
court. Si elle nous a parfois donné des claques, nous lui
avons néanmoins reconnu la vertu d'une jolie douceur.
Hommage aux Moto-Dops
Ils sont partout dans la capitale... J'en ai connu certains par
les gestes et les regards, nous avons sympathisé et une
amitié simple et chaleureuse s'est installée entre
nous. Nos échanges sur le Cambodge, même si la
conversation a souvent été limitée, ont toujours
été teintés de soleils. Leur vraie gentillesse
et leur bonhomie ont souvent mis du baume à mon coeur meurtri
par ce que j'ai vécu au Cambodge et les horreurs qu'il m'y a
été donné de constater... Mais qui
sont-ils?
Les Moto Dops sont des hommes, chapeau bas vissé sur la
tête, qui vous transportent sur leur moto où vous le
souhaitez dans la ville pour une poignée de riels (monnaie
cambodgienne) et gagnent ainsi leur dérisoire revenu -le
salaire moyen d'un Cambodgien est de 30 dollars par mois-. Il faut
avoir conscience que pour échapper à la misère
des campagnes, beaucoup d'hommes viennent à Phnom Penh. La
première étape est toujours pour eux de se livrer
à ce métier en espérant passer plus tard
à mieux et, à certains égards, à quelque
chose de plus valorisant.
L'absence de mots entre nous a rendu mon contact avec eux
dénué de tout artifice et la plupart du temps
très doux.
Les expatries
Encore! Et quel titre bien général. Cependant,
cette fois, c'est comme grave et triste en majorité et j'ai
encore l'impression, aujourd'hui comme rarement, heureux.
Bien évidemment, j'imagine qu'il y a pour vous un
goût certain pour l'anecdote et je pourrais vous faire part en
détail de certaines rencontres, mais à quoi bon.
Très franchement ce n'est pas toujours forcément digne
d'intérêt.
Beaucoup d'expatriés occidentaux, c'est avec eux que le
contact s'est le plus souvent établi, sont ici pour
échapper au fisc, et il y en a aussi qui ont transporté
leurs malaises existentiels écumés en Europe dans ce
pays qui n'en a absolument pas besoin. Je vais néanmoins
tenter de résumer; il y a beaucoup d'expatriés qui sont
au Cambodge depuis tant d'années et n'ont d'autre discours que
celui d'exprimer que les Cambodgiens s'avèrent avec le temps
des gens inintéressants, incultes et qui ne comprennent jamais
rien. Il s'agit là, je pense, d'une forme d'aigreur qui s'est
forgée sans qu'elle puisse être maîtrisée.
Il faut cependant dire, à ce propos, que le Cambodgien se sent
souvent inférieur, et ce sans raison, face à
l'étranger, particulièrement face au Français
qui l'a colonisé et au Vietnamien qui l'a
libéré. Des Vietnamiens qui sont très
présents au Cambodge, et les relations entre les deux peuples
ne sont pas particulièrement au beau fixe;c'est souvent
lié à des antagonismes appartenant pourtant à
l'histoire. Mais celle-ci est encore très proche.
Il nous est arrivé de fréquenter avec
intérêt la vie nocturne de Phnom Penh et nous avons eu
l'occasion de nous frotter à bon nombre de personnages;
souvent désabusés, fatigués, alcooliques, las et
j'en passe. Loin de moi pourtant d'opiner sur leur coeur et leur
intelligence, car de belles soirées arrosées ont
amené leur lot de rires, mais de manière
générale et compte tenu de ces rencontres, c'est plus
de la peur que de l'envie qui s'est dégagée de moi. Je
ne souhaite cependant toujours pas jouer ce rôle
détestable de moralisateur. Il est vrai que nous avons
peut-être eu trop tendance à ne remarquer que ce
mal-être, car il nous blessait. Un regret surtout; celui de
n'avoir pu communiquer dignement avec les Khmers. Durant ce voyage en
Asie, c'est sûrement ce qui nous manque le plus
sincèrement, parler plus avec les gens de l'endroit. Ce manque
n'existait par exemple pratiquement pas lors d'un long séjour
en Amérique latine il y a bientôt deux ans; l'espagnol
demeurant toujours plus accessible que le thaï, le vietnamien,
le lao ou encore le khmer (langues qui ne sont, soit dit en passant,
pas forcément bien maîtrisées par les
expatriés longtemps présents sur ces terres). Nous
avons d'ailleurs, malgré certains efforts minimes durant notre
séjour cambodgien, décidé de ne nous mettre
à une de ces langues que le jour où nous nous
installerons longtemps dans un pays.
Pour revenir aux camarades croisés sur notre chemin, il y
a, je vous rassure, des personnes admirables et
déterminées. Celles-ci parlent
généralement très bien le khmer. Ce sont les
hommes et femmes, hélas plus rares que les autres, qui
mènent des combats passionnants depuis longtemps, en
particulier dans les ONG.
Deux portraits immédiats pour
illustrer le jour et la nuit.
Richard
Un homme agressif, méchant, rencontré un soir dans
un "bistrot"... Accompagné d'une charmante demoiselle,
incontestablement mineure, il se lance dans des diatribes qui
s'apparentent à l'éloge de l'esclavage des filles et
femmes au Cambodge. Je réagis... Une violente confrontation
s'ensuit... Je "calme" vite le jeu, car l'homme me semble dangereux
et particulièrement peu habile et nuancé. Je
décide alors de le "caresser dans le sens du poil" et
l'écoute longuement m'évoquer la liberté
sexuelle dans ce pays, les passes à dix dollars avec des
enfants... "Ceux qui ont de l'argent possèdent et font ce
qu'ils veulent de ceux qui n'en ont pas!", me soutient-il, convaincu.
Cette conviction, il me la défend de façon apeurante.
Pendant ce temps, la fille ne "pipe" (...) mot et je parviens
à lire quelque chose de terrifiant dans ses yeux. Cet homme a
une carrure qui impose le retrait, moi qui n'ai jamais
été un fervent adepte des confrontations physiques et
les évite, il est vrai peut-être lâchement, mais
essentiellement par gain de paix. Mes sentiments tourbillonnent;
dégoût, révolte et cette peur qui ne me
lâche pas. Je finis par m'en aller avec en prime pour la nuit
une grosse déprime comme somnifère.
C'est l'exemple extrême; mais nous avons hélas fait
trop de rencontres de cet acabit. Des trentenaires aussi, dont un m'a
prétendu être satisfait de sa vie sexuelle permanente
ainsi, une fille par jour, car l'Amour finit toujours par se lasser
et se casser. La paresse d'aimer à trente ans...?!
Beaucoup d'hommes sont donc au Cambodge, et vous l'aurez
aisément compris, pour user et abuser de ce ressort de la
prostitution qui "arrange" et permet définitivement
d'éviter la séduction et quelque préliminaire
que ce soit; mais surtout d'humilier moralement et physiquement tout
ce qui leur passe entre les bras. Et ils osent encore se
défendre en parlant d'aspects culturels et d'argent que ces
"pauvres" filles peuvent gagner grâce a eux.
L'homme, qui ressemble à de la gangrène, avec comme
seul élément de réflexion le sexe et ses saveurs
jouissives rarement amoureuses. Et ces femmes, d'une rare
beauté et à la grâce troublante... Tristesse
quand tu nous tiens...
Sylvain
C'est en quelque sorte l'autre côté de
l'échiquier humain pour moi. C'est le fondateur, avec sa femme
khmère (représentante pour le Cambodge des Droits de la
femme lors des sommets de l'ASEAN, réunion annuelle des pays
d'Asie du Sud-Est), de l'ONG pour laquelle nous avons
travaillé à Phnom Penh. Homme acharné,
travailleur, et qui démontre souvent une volonté sans
faille...
En 1996, il a créé AFESIP (Agir pour les Femmes En
Situation Précaire: pour les intéressés,
http://www.afesip.org).
Il se bat pour ce Cambodge qu'il aime tant (depuis 15
années dans le pays), mais désespère souvent des
autorités publiques, des lenteurs et contradictions
administratives; de la corruption également, véritable
institution sur cette terre, certainement une des plus meurtries au
monde.
Cet homme tient énormément sur ses épaules
et vous allez vite l'entendre. De 7 heures du matin jusque tard le
soir, il "rame" comme un fou pour rendre son ONG plus
professionnelle. Il cherche des moyens et les donateurs ne se
trouvent pas toujours si facilement. En effet, des centaines d'ONG
cohabitent entre elles à Phnom Penh et la concurrence est
parfois vive et sans merci.
Sylvain a aussi ouvert AFESIP au Vietnam, au Laos et en
Thaïlande, pays dans lesquels la prostitution, et plus
particulièrement le trafic des femmes demeurent
intolérables! C'est le cheval de bataille d'AFESIP, combattre
ce commerce de femmes destinées ensuite fatalement a se
prostituer.
Il lui arrive néanmoins, malgré cette
énergie qui l'anime en permanence, de confier: "J'en ai assez!
A quoi bon... Les succès sont si rares... Il faut toucher le
politique et cela s'avère presque impossible pour un
Français comme moi dans ce pays..."
Bactériologiste de formation, il constate aujourd'hui
qu'il serait trop difficile pour lui de reprendre son métier
en évolution et mutation constantes. Il se pose très
souvent la question de l'opportunité de ses choix et de sa
capacité à continuer le combat. Et il se plaint, aussi,
des incompréhensions et malentendus entre Khmers et
Occidentaux dans les rapports de travail. Car la méthode et le
rythme divergent trop selon lui.

Fillette, privée d'école, et qui
aide au quotidien sa mère à vendre toutes sortes de
marchandises.
Photo d'Alix
Trauffler
Mais la foi est toujours là et le train bien en marche.
Sachez encore qu'avant AFESIP, il a passé 10 années de
sa vie à agir pour le développement de ce pays. Et a
longtemps travaillé au Vietnam aussi.
Son travail déplaît et il s'est senti à
maintes reprises, lui et sa famille, en danger... Car se battre pour
que cessent ces trafics d'êtres humains ne rencontre que
très peu de faveurs dans un lieu où l'appât du
plus grand gain possible est intimement lié à ce sombre
"business"! Les proxénètes et les hommes politiques de
ce pays nous sont souvent apparus main dans la main lorsque nous
travaillions à la fondation. Alors, lorsque les menaces de
mort planent, il emmène les siens se réfugier dans le
sud du Laos. Puis il revient à Phnom Penh, encore plus
"remonté" et continue à tisser son destin de "juste"...
Beat Richtner (médecin suisse allemand qui a
créé des hôpitaux pour enfants des rues au
Cambodge, faut-il le rappeler...) n'est pas loin, mais
peut-être a-t-il eu un peu plus de chance ou une meilleure
stratégie et ne lisez aucun jugement péremptoire
derrière mes propos.
Sachez encore que plusieurs ONG de Phnom Penh critiquent AFESIP
en reprochant à Sylvain son goût immodéré
pour les médias (beaucoup de télévisions du
monde entier ont défilé sous nos yeux lors de notre
passage à AFESIP), mais il s'agit souvent là que de
jalousie! Alerter les médias et les utiliser intelligemment
est hélas la plupart du temps l'unique moyen pour parvenir
à l'arrestation de pitoyables individus.
Sylvain, un homme juste donc, et quelque part pris dans les
rouages d'un combat paraissant souvent sans issue...
Note: Richard et Sylvain sont des prénoms d'emprunt.
Et il y eut l'ONU
Avant d'aborder notre travail à proprement parler ici, je
souhaite encore férocement vous faire part de notre
stupéfaction le jour où nous avons eu "la chance" de
rencontrer le délégué officiel du
secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan. Venu
faire sa tournée des ONG de Phnom Penh en vue de l'attribution
de fonds aux plus sérieuses d'entre elles, ce monsieur s'est
entretenu un peu plus d'une heure avec Sylvain. Ont fusé alors
des questions à désespérer, que je ne
détaillerai pas ici et maintenant, et apparaissant d'une
candeur et d'une ignorance complètes des problèmes du
pays et surtout des vraies préoccupations et exigences de la
part de ceux venus ici pour aider et créer des conditions
favorables à l'évolution et au changement, même
si le travail est sans conteste de longue haleine.
Est alors apparue sous nos yeux une opposition violente et sans
détour entre le terrain et les bureaux...
Au moment où nous avons vu la voiture joliment
immatriculée UN, et je le précise aux vitres
blindées, s'éloigner, nous nous sommes
questionnés: sous quel angle sera conduit ce fameux
procès des Khmers rouges en préparation et dans lequel
l'ONU souhaite à nouveau s'impliquer? Faut-il préciser
que certains de ces criminels vivent encore en résidence
surveillée à Phnom Penh?
De quelle nature sera ce procès et comment sera-t-il
mené par cette ONU qui nous est apparue comme bien peu au fait
des "choses" cet après-midi-là?
Deux exemples de questions tout de même: Etes-vous
sûr qu'il y a autant de pédophiles que vous le
prétendez au Cambodge? Ah, ah...
Y a-t-il beaucoup de SIDA? Sûrement pas.
AFESIP et notre travail
L'ONG pour laquelle nous avons été ici oeuvre donc,
et vous l'aurez amplement saisi, contre le trafic des femmes et
filles et en accueille quelques-unes en son sein. Une quarantaine de
filles (avec lesquelles, moi homme, je n'avais, vu leur vécu,
jamais le droit d'être en contact) sont recueillies à
AFESIP Cambodge (dans le centre de Phnom Penh, le plus grand du pays)
et suivent dès lors un cursus de réintégration
s'étalant sur deux ans. Quatre activités leur sont
proposées, pour que celles qui pourront le mieux
échapper à leurs traumatismes puissent se
réintégrer dans la vie civile. Dans les "bordels", et
ce dès le plus jeune âge, elles n'apprennent en fait
qu'à se servir de leur corps, et celui-ci ne constitue qu'un
sinistre objet de marchandise. A leur arrivée au centre
d'AFESIP, c'est ce qui choque le plus, comme s'il y avait face
à nous que des corps meurtris et des esprits par la force
inexistants.
Les filles recueillies ont donc le droit de suivre un atelier de
couture, des travaux d'usine, un atelier d'alphabétisation
(mathématiques basiques et khmer), un de coiffure mis sur pied
par une Suissesse ayant travaillé à AFESIP, et un autre
de cuisine où nous avons mangé quelques midis. Les
filles sont bien actives et elles apprennent aussi des notions de
dignité et d'hygiène jusqu'alors inconnues pour
elles...
Alix, mon amie, a travaillé dans le secteur de psychologie
et a aidé la psychologue de la fondation à
étoffer et à améliorer ses diagnostics souvent
établis à l'emporte-pièce. Elle a donc
créé des fiches techniques permettant de faire un bilan
relativement sérieux lors de l'arrivée de la fille
à AFESIP. En assistant aux entretiens entre la psychologue et
certaines demoiselles, elle a pu mesurer l'étendue des lacunes
au niveau des traitements administrés. Il est à noter
que la psychologue de la fondation, khmère, a suivi le cursus
universitaire usuel à Phnom Penh. Mais le bouddhisme y tient
une place importante, même dans ce domaine. Imaginez-vous donc
les dégâts que cela peut provoquer dans le traitement de
tels cas... Exemple: "Si tu es prostituée dans cette vie,
c'est que tu as forcement péché dans une vie
antérieure", dixit la psychologue...
En ce qui me concerne, j'ai commencé à mettre sur
pied une méthodologie d'enseignement "utilisable" par les
formateurs khmers qui n'ont jamais appris à structurer ce
qu'ils dispensent comme matière. La suite de mon travail
aurait d'ailleurs été de collaborer en compagnie d'un
interprète pour essayer de faire appliquer cette
méthode en l'adaptant sur le terrain en fonction des moyens et
possibilités à disposition. Mais nous sommes
restés longtemps en attente d'un salaire, car le statut de
bénévole a indéniablement ses limites et
défaillances; notamment dans la définition des rapports
de travail et, avec le temps, des horaires. Nous sommes donc partis,
mais reviendrons. Car le travail d'AFESIP est remarquable à
beaucoup de points de vue, en particulier dans cette volonté
de mettre les Khmers au coeur même de ce combat. C'est un
travail à très long terme et de longue haleine, car le
niveau d'éducation cambodgien est aujourd'hui un des plus
faibles de la planète. Merci Pol Pot! Que cette fondation
souhaite donc faire en sorte que les Cambodgiens se battent pour leur
Cambodge, avec le temps, est certainement une idée plus que
louable.
Parallèlement à cette réintégration
de filles et cette lutte contre ce terrible trafic, AFESIP s'est
lancé depuis peu dans le démantèlement de
certains réseaux pédophiles au Cambodge.
La pédophilie
C'est une véritable plaie dans ce pays. Une passe avec un
enfant coûte aux alentours de dix dollars. Cela empoisonne et
pourrit l'atmosphère ici. Le Cambodge est en effet, depuis un
certain temps, devenu un refuge ou une "oasis" pour tous les salauds
amoureux de chair fraîche, étant donné que la
Thaïlande voisine a, il y a de cela trois ans,
considérablement renforcé sa législation et ses
peines à l'égard de ceux commettant des délits
sur des mineurs. Concernant le Vietnam et la Laos, le pouvoir
communiste maintient encore un certain contrôle sur ces
agissements. Loin de moi néanmoins d'exprimer qu'il n'y a pas
de réseaux dans ces deux pays. Au contraire... Mais s'il y a
réellement un lieu où l'inquiétude et la
préoccupation ne risquent pas encore de "ronger" ces furieux
malades, c'est Phnom Penh et, à plus large échelle, le
Cambodge. Cette ONG à laquelle nous avons prêté
nos services pendant trois mois nous l'a constamment
démontré. Les exemples ne manquent pas et ce sont le
désespoir et une violente rage ressentis qui en sont leurs
meilleurs illustrateurs.
Du cas d'un Allemand condamné pour avoir drogué et
violente une jeune Vietnamienne vierge de 14 ans, -il ne
s'était d'ailleurs pas gêné pour filmer et
photographier l'indescriptible (d'ignobles clichés,
destinés sans aucun doute à alimenter un site Internet
pédophile, car un matériel conséquent a
été saisi à la suite de son arrestation-, au cas
d'un Italien arrêté et condamné à la
prison à perpétuité il y a peu dans son pays
pour meurtre d'un mineur par crucifixion (il avait acheté
l'enfant 100 dollars), les pires ignominies ont défilé
sous nos yeux et nous avons eu l'occasion d'observer pleinement la
charogne humaine. A l'heure où j'écris ces lignes,
l'Allemand a probablement été libéré, vu
qu'ici même la liberté s'achète et que la
dignité humaine est balancée aux orties sans aucun
scrupule... Aux dernières nouvelles, deux journalistes lui
ayant rendu visite dans sa prison de Phnom Penh pour le compte de la
télévision allemande (SAT 3) m'ont informé qu'il
était dans un état pitoyable, car
régulièrement battu par les détenus cambodgiens
qui partagent sa cellule (où ils sont vingt...) et ce sinistre
individu y est allé sans remords de son couplet de
victimisation face aux caméras... De plus, l'ambassade
d'Allemagne, qui ne souhaite pas qu'un de ses ressortissants donne
une image salie du pays au Cambodge, commençait
déjà au moment de notre départ à le
couvrir pour tenter finalement sans doute de le libérer
à coups de dollars acceptés sans broncher par les
policiers et dirigeants payés au lance-pierres sur cette
terre. A pleurer.
Le neveu de l'ex-ambassadeur de France, pédophile notoire
et avéré, avait déjà il y a quelques
années disparu dans la nature. Atroce; tout à coup
cette soi-disant immunité diplomatique a comme un goût
amer...
Vous dire encore que le chef de la police de Phnom Penh, un
Français, étrangement payé par l'UNICEF (...), a
eu tendance à jouer un drôle de triple rôle entre
AFESIP, ces criminels et les ambassades... Bref,... Selon les
chiffres officiels d'AFESIP (unique ONG luttant
délibérément contre le trafic des femmes
à Phnom Penh(*)), le 80% des cas pédophiles est chinois
(une pseudo-tradition culturelle porte la félicité et
la chance à celui qui se "tape" une vierge) et le reste
occidental (à ce propos, une petite communauté suisse
de "pédos" fait des ravages à Phnom Penh - hommes
d'affaires respectables et forcément dignes une fois rentres
chez eux-). Il est bien clair que ce sont ces derniers qui nous "ont
sauté à la gueule" au quotidien...
(*) Pour la petite histoire, une de plus, une autre ONG avait
relevé le défi et s'était lancée dans la
lutte contre ce sinistre trafic d'êtres humains. Elle a vite
fermé ses portes... L'erreur commise fut la suivante: son
dirigeant avait décidé de libérer les filles des
"bordels" en les achetant. Les proxénètes ne se sont
dès lors pas gênés pour lui amener des
quantités invraisemblables de filles jusque devant la porte de
son ONG en dictant forcément la somme qu'ils désiraient
obtenir pour chacune d'entre elles! Comme des animaux de foire...
Inimaginable, vous en conviendrez, et une drôle de
méthode d'aide surtout, qui n'a,dans un tel contexte,
évidemment pas fait long feu...
Une après-midi au "Kilomètre
11"
De tous les bordels de Phnom Penh (et ils sont nombreux...),
c'est probablement l'endroit le plus démesurément
ignoble qu'il m'a été donné de voir ici...

Pour quelle somme s'apprête-t-elle
à se vendre?
Photo d'Alix
Trauffler
Au "Kilomètre 11", (comme son nom l'indique à 11
kilomètres du centre-ville), je m'y suis rendu en compagnie
d'un médecin français ayant travaillé trois
semaines à AFESIP dans le cadre du programme "Kouchner" mis
sur pied par l'ancien ministre. Chaque médecin français
a en effet droit durant sa carrière à trois semaines
dans l'ONG et le pays de son choix pour y prêter ses
services.
A l'entrée de ce "Kilomètre 11", on aperçoit
un grand panneau qui nous incite à l'utilisation du
préservatif (le sida n'en finit pas d'assassiner au Cambodge),
puis on entre "enfin" dans ce grand "bordel" à ciel ouvert
s'étalant sur un long kilomètre, et rempli de tout ce
que l'humanité peut montrer de plus hideux. Des femmes,
beaucoup de Vietnamiennes, on les appelle aussi "taxi girls", des
enfants (qui se monnaient ici cinq dollars), et cet
après-midi-là une quantité
non-négligeable d'Occidentaux attablés autour de
bières et tenant parfois trois à quatre filles sur
leurs genoux. Certains de ces hommes sont très jeunes (entre
25 et 30 ans). J'ai un sale goût dans la bouche... Nous nous
installons à une table et commandons deux bières. Nous
observons... Beaucoup de jeunes gens nous interpellent alors et nous
proposent des passes.
Je demande à mon compagnon que nous nous en allions
très vite... Lui, incontestablement animé par des
envies très voyeuristes, me somme de rester et demande des
enfants au premier venu... On nous entraîne dans un coin
"dégueulasse", car très sale et délabré,
un peu à l'écart et là, dans une pièce
d'une minuscule maison prête à s'écrouler, une
dizaine d'enfants (la plus jeune a 4 ans et le plus âgé
10 ans) surgissent de je ne sais où et viennent se poser sur
nos genoux. "10 dollars for one!" nous signifie une grosse femme
apparemment tenancière de ce recoin du "Kilomètre
11".
J'ai très peur et ne peux plus réfléchir...
Mon coeur bat à exploser ma poitrine! Je demande encore au
médecin de façon plus insistante de partir avec moi.
Cette fois, il écoute et me suit... Nous montons sur nos motos
et partons enfin, non sans avoir dit à ceux qui nous ont
mené aux enfants que nous reviendrions le soir, ceci afin
d'éviter toute suspicion... Sur la route nous emmenant
à nouveau à AFESIP, le médecin me lance:
"Très instructif, non?" Je n'ai décidément pas
cette approche et préfère saigner en silence.
Précision: Aux dernières nouvelles, le
"Kilomètre 11" avait fermé ses portes grâce,
entre autres, à la collaboration d'AFESIP. Ce n'est pas la
première fois... Souvent, il a fermé et rouvert
très vite. Pour combien de temps cette fois-ci? Le tourisme
sexuel amène tant d'adeptes au Cambodge et Hun Sen ne semble
pas forcement insensible à leurs deniers...
Elle
Petite Vietnamienne de 14 ans... A été victime de
cet Allemand que j'évoquais précédemment. Vendue
par ses parents il y a six mois à un proxénète
quelconque, elle se trouve aujourd'hui en relative
sécurité au sein de la fondation où elle va
tenter de se reconstruire. Mais quel avenir? Lorsqu'elle quittera
AFESIP pour affronter cette société cambodgienne qui
n'offre de véritables débouchés qu'à de
très rares exceptions, que fera-t-elle? Recommencera-t-elle
à se prostituer, car c'est le cas de beaucoup de filles
recueillies? Cette situation n'est pas sans me rappeler l'Angola, la
Colombie et ses enfants des rues qui retournent à leurs
premières amours, la colle à sniffer, à peine
sortis des fondations censées leur rendre et leur offrir un
peu d'enfance.
En fait, je n'en sais rien et ai conscience des rares victoires
humaines... Même si certaines s'en sortent et ce sont aussi
à ces filles que je pense. En tout cas, j'espère fort
la victoire pour cette ravissante fillette vietnamienne.
Donc, vous exprimer finalement que son sourire m'a très
souvent réchauffé et que je l'aime, tout en l'admirant
sincèrement.
Les temples d'Angkor
Démesurément beaux, magiques et troublants,
incroyables et épatants; c'est la grandeur khmère qui
s'oppose à la folie meurtrière d'il y a à peine
trente ans... C'est affolant et insolent de grandeur! Allez-y tout de
suite; le regard ne cesse jamais de s'émerveiller
allègrement... De "Angkor Wat", le symbole et la puissance, au
"Bayon" aux milles visages en passant par "La Terrasse des
Eléphants" et le "Banteay Srey", on peut sans lassitude
aucune, une bonne semaine durant, se promener sur ce site qui est
sûrement une des plus grandes merveilles architecturales de ce
vaste monde. Plus de 600 temples... Et cette folle impression
d'assister au plus beau spectacle possible! Je suis sans mesure et en
suis heureux... L'architecture et les bas-reliefs d'Angkor
scintillent sous le soleil de ce pays extraordinaire... Si
attachant...

Les touristes peuvent aussi faire leurs offrandes à Angkor en
s'acquittant
de quelques riels qui serviront probablement à nourrir une
famille.
Le bâtonnet d'encens revient à 2000 riels (70 centimes
suisses).
Photo d'Alix
Trauffler
Nous sommes tombés amoureux du
Cambodge, de sa population, et comme dans toutes les vraies passions,
la colère et l'incompréhension se sont mariées
à cet amour controversé.

Les splendides bas-reliefs du Bayon vous racontent l'histoire du
peuple Khmer à son apogée.

Ta Prohm... Un des rares temples d'Angkor toujours recouvert de
jungle.
La simple présence des racines semble faire tenir celui-ci
debout.

Animal fabuleux... Mi-femme, mi-oiseau protégeant
l'entrée
du Palais Royal de Bangkok en faisant fuir les mauvais esprits.

Angkor et ses cicatrices... Les voleurs n'avaient aucun scrupule
et pouvaient agir sans être inquiétés. Malraux
fut d'ailleurs l'un des leurs...
(lire "La forêt de pierres", de Bruno
Dagens)

Vieille femme en train de faire ses offrandes aux ancêtres
d'Angkor.
Photos d'Alix Trauffler
Le Cambodge, les Cambodgiens sont debout et ce pays est en voie
pour le renouveau. Tout cela a pris place en nos coeurs sur ce chemin
initiatique. Nous reviendrons sûrement... Le travail de Phnom
Penh ne nous a par exemple pas permis de découvrir l'est du
pays aux paysages montagneux, paraît-il, époustouflants
et à la population très douce.
Mais nous n'oublierons rien, des gens surtout et de leurs
sourires, qui de Phnom Penh à Siem Reap (Angkor), des villages
traversés ici et là sur la route du sud vers
Sihanoukville (anciennement Kompong Som) nous ont toujours
donné avec allégresse, sans jamais rien nous demander
en retour. Comme un reflet de véritable bonheur...

Scène de vie au coeur d'un village flottant vietnamien,
près de Siem Reap, au Cambodge.
Photo d'Alix
Trauffler
Deux lectures essentielles pour approcher Angkor: "La foret de
pierres" de Bruno Dagens, Découvertes Gallimard, et "Angkor"
de Maurice Glaize, chez Maisonneuve.
"Rien n'est à toi. C'est
juste l'histoire du monde. Chacun sa p'tite seconde"
Mano Solo
En bohémiens incertains
La Route a donc repris ses droits, heureux et parfois cruels.
Ceci, en attendant et en souhaitant un lieu qui voudra bien à
nouveau nous prêter son âme pour un temps, plus
longuement probablement cette fois-ci que le séjour
cambodgien. Qui sait? Peut-être sur un autre continent,
derrière d'autres regards et au-devant d'un chemin
culturellement différent.
Il m'a un jour murmuré: "Ah, la, la, que d'Amours
splendides j'ai rêvées." et aussi, comme un désir
fervent de renouvellement permanent: "Assez eu. Assez vu. Assez
connu. Départ dans l'affection et les bruits neufs." Ce
dérèglement des sens, cette ivresse à chercher
et à nourrir. Je sais toujours l'écouter avec
attention, entre ces fièvres folles et leurs joyeuses
conquêtes.

Un des airs de Bangkok ou quand le gris
règne en maître.
Photo d'Alix
Trauffler
Pour nous reposer de Phnom Penh et ses duretés, nous
sommes revenus en Thaïlande pour nous rendre à Hua Hin,
petite station balnéaire qui a régulièrement
comme hôtes d'honneur le roi et la reine, tant
vénérés et adulés dans ce pays, qui en
ont fait leur endroit de vacances préféré. Hua
Hin en tire d'ailleurs incontestablement un certain prestige.
Hélas, je déconseille plutôt, à la base,
de se rendre dans cette petite ville, surtout à celui qui
cherche et désire l'Asie profonde; même si au rythme
où va cette triste uniformisation du monde, le souhait de
l'authenticité peut aujourd'hui revêtir à
certains égards l'habit de la candeur (vive cependant la
naïveté, qui est souvent le vrai moteur des
idéaux). Egarements, quand vous me tenez.
Pour revenir à Hua Hin, nous avons néanmoins
agréablement, parfois, apprécié ce lieu,
notamment au vu des bienfaits de la mer qui correspond presque
à celle des "golfes clairs." Sauf, et je conviens
déjà de la facilité du jeu de mots, qu'il s'agit
plus, dans ce cas précis, des cannes de golf. C'est
effectivement un paradis pour les golfeurs et Tiger Woods en personne
est même venu faire quelques démonstrations ici. Sa
photo orne d'ailleurs plusieurs livres dans les librairies de la
ville. Pour encore mieux justifier et expliquer mon propos
indécis et peu convaincu de l'endroit, il est à noter
avant tout, qu'Hua Hin accueille tout au long de l'année un
nombre invraisemblable de personnes venues du monde entier,
même si les Scandinaves et les Allemands prédominent.
Beaucoup de gens qui viennent d'Europe surtout se reposer de leur vie
quotidienne forcément harassante à l'ombre de
splendides palmiers. Jusque-là, rien de gênant et encore
moins de choquant.
Mais malheureusement, de par cette présence, on lit
à l'entrée de certaines pharmacies: "Apotheke" ou
encore "Schöne Hemden und billige Preise" au moment de
pénétrer dans les innombrables magasins de
prêt-à-porter, présents également à
Bangkok, et défiant toute concurrence pour les Occidentaux.
Là, on se dit vraiment: "Bof." J'ai même un jour lu sur
un panneau: "We speak English, hablamos espanol, parliamo italiano
(beaucoup d'Italiens aussi.), nous parlons français, wir
sprechen Deutsch und SCHWITZERDUTSCH"!
L'argument du business et des avantages amenés à la
Thaïlande par ce tourisme ne sont à mon avis plus
valables lorsqu'on dénature ainsi un endroit. Ici l'argent
coule à flot, les hôtels de luxe aseptisés sont
omniprésents, mais nous ne nous sommes nullement
gênés de profiter puissamment d'un de ceux-ci au cours
de quelques soirées, et ce à travers un parent proche
que je remercie encore au passage.
Malgré tout cela, l'union "occidento-thaïe" semble se
dérouler à merveille et chacun y trouve apparemment son
compte. C'est très mignon et pourquoi pas. De très
belles femmes se prêtent et se donnent ici toujours
gracieusement à des hommes seuls, parfois bien laids mais
comme métamorphoses en princes charmants par leur argent, ceci
le temps de leurs vacances définies comme exotiques (je
continue, et c'est lié au Cambodge, à ressentir un
malaise, même si je sais pertinemment que de vraies histoires
d'Amour peuvent parfois naître de ces unions).
Il y a cette étrangeté souvent; à Hua Hin,
on se sent en Thaïlande, certes, mais parfois bien
forcée; le personnel des hôtels semble en effet si bien
formé à l'accueil d'hôtes venant ici
généralement peu de temps (environ deux semaines) qu'on
a constamment droit à toute la panoplie de salutations
très distinguées (les mains jointes et avec quelle
ravissante élégance), de remerciements et
d'amabilités à la thaï. Comme si les
supérieurs expliquaient à leurs employés: "Bon,
vous accueillez le "Phalang" (mot très utilisé et
désignant l'Etranger en thaï); sachez qu'il vient ici
pour se reposer, cherche du soleil et a quand même besoin et
envie de se sentir en Thaïlande, donc il est très
important que vous lui sortiez tous les rituels du pays."
C'est plutôt sympa, vraiment, mais cela sent parfois le
préfabriqué. Mais finalement, et sans réflexion
aucune, il n'est pas toujours indispensable d'en avoir une, nous nous
sommes donc laissés bercer par ce qui a constitué une
belle tranquillité, en particulier après le Cambodge.
Avons même au détour de ballades et d'errances
découvert une région avec, entre autres, de superbes
forêts. Quelques lieux nous ont même tout a coup
rappelé l'Indochine de Marguerite Duras. Une vieille maison
surtout, toute en bois, abandonnée et qui semblait
hantée de fantômes bien mystérieux. En errant
à l'intérieur de celle-ci et en parcourant chacune de
ses pièces, nous étions comme possédés
par un parfum d'angoisse mêlé de désir. Et
pourtant; impossible, bien dommage, de savoir à qui
appartenait cette vieille demeure et comment il était possible
qu'elle soit éventuellement accessible d'une manière ou
d'une autre. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé de nous
renseigner. Maison magique, en bord de mer, très belle, vaste
et certes complètement délabrée, mais
possédant indéniablement une vraie âme. Ceci
toujours à Hua Hin et subitement à nouveau en
Asie.
En arrêt là-bas. Nous sentant comme à un
carrefour, nous avons pu parfois "décortiquer" ces sept
premiers mois dans le rire (Alix au milieu d'un village karen en
Thaïlande en train de se faire filmer par un groupe
organisé croyant qu'elle faisait partie de la tribu) et
l'effroi (dix touristes occidentaux ont été tués
il y a un mois sur la route entre Luang Prabang et Vang Vienh au
Laos, route que nous avions empruntée en octobre de
l'année dernière. La raison de ce massacre est
liée à la vengeance d'une tribu Hmong envers le
gouvernement, qui avait ordonné sans raison le destruction
d'un de leurs villages au nord du pays.)
Bref, beaucoup de souvenirs ont défilé,
teintés de couleurs variées. Du gris au bleu et du noir
à l'azur...
Sommes aujourd'hui une fois de plus, sûrement une des
dernières, à Bangkok, comme un deuxième chez
nous en quelque sorte. Au milieu du merveilleux Chinatown, nous
regardons comme un tableau changeant cette ville effervescente
s'agitant sous nos yeux. C'est resplendissant, beau, chaotique et
toujours terriblement humain. Une ville dans Bangkok. Un air attirant
de la Chine et ses saveurs. Marchés avec tout, tout, et plus
que cela. Vie de rue où les yeux ne se fatiguent pourtant
jamais à regarder et à s'émerveiller encore et
encore. Imaginez et allez.
Et nos questions tourbillonnent et nous mettent toujours
dignement en face de nous ("On croit qu'on va faire un voyage, mais
bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait."
Bouvier)
Ces lieux, ces atmosphères et ces rencontres qui font
toujours plus partie de notre construction personnelle. Ce puzzle se
défait parfois, mais nous n'oublions jamais qu'il bâtira
avec le temps une cohérence et la vraie volonté
ascendante.
L'ex-Birmanie nous appelle maintenant et nous sommes
rassurés d'aller à sa rencontre.
C'est souvent la rencontre chez moi qui déclenche l'envie
de partager en écrivant. Et ce soir, ce fut un camarade
thaï qui m'a parlé pour me détailler les
conditions de son existence, et plus particulièrement celles
de son quotidien; il bosse 12 heures par jour dans son bar et dispose
du mardi de libre dans la semaine. Salaire mensuel: 4000 Baths, un
peu moins de 130 francs suisses, dont une bonne partie va aux siens,
vivant dans le nord-est du pays. S'installe entre nous un long
dialogue, toujours dans un anglais hésitant, mais valsant de
curiosités réciproques. C'est doux, chaleureux et
agréablement gentil. Je lui expose ma façade de nanti
et il s'exclame d'admiration, ce qui me gêne beaucoup.
Peut-être ne devrais-je pas. Mais quand une certaine
réalité sociale, ainsi qu'une difficulté
humaine, surgissent là devant vous, on a toujours cette
tendance au retrait et à une humilité, ressentie
sincèrement, même si elle peut apparaître de
forme. On relègue alors soudainement cette Asie enchanteresse
qui nourrit nos soleils propres au second plan. Mais attention, je ne
m'excuse pas pour autant de voyager et de chercher à ouvrir
mes sens. Néanmoins.
De retour du Laos, du Vietnam et du Cambodge, je
prétendais encore que la Thaïlande était un pays
économiquement à l'aise. C'est vrai et justifié
face aux trois premiers cités, mais toujours violemment faux
face à nous, et ce sans aucune raison. J'ai été
triste et me suis à nouveau écrasé comme un
gamin contre le mur de cette si belle réalité.
A l'heure où la Thaïlande fait parler d'elle dans le
monde entier pour cause de lutte antidrogue particulièrement
violente, ordonnée, selon les dires, par le roi, car beaucoup
de dealers sont abattus de sang-froid et très arbitrairement,
je me suis rendu compte à quel point le peuple, à
travers ses difficultés, pouvait être une fois de plus
très éloigné des pourparlers gouvernementaux et
même internationaux, semble-t-il.
Voyage magique, voyage troublant et se souhaitant toujours
obstinément humain.
J'ai rêvé de
Palestine
A l'heure où, et je regrette déjà mon
absence, se préparent de belles agitations et de dignes
protestations (des manifestations qui ne nécessitent
d'ailleurs plus aucune justification) en vue de la tenue du G8
à Evian, j'ai rêvé, dans un accès de
justice, d'un état palestinien à Bangkok. Mais pourquoi
me direz-vous? Sans antisémitisme aucun, au contraire
très sincèrement -je sais la souffrance et la peur
actuelles du peuple juif-, il m'est quand même arrivé de
m'énerver fortement contre une attitude détestable de
suprématie.
A Bangkok, nous avons souvent logé à Th Khao San,
quartier des routards, comme Hua Hin hors d'Asie, et je n'ai jamais
compris pourquoi, en ce lieu, l'étoile de David trônait
de façon unilatérale, acceptée des
autorités, et, sincèrement, sans raison apparente.
Cette rue regorge d'Israéliens, jusque-là, à
nouveau, pas de problème, mais malheureusement, ces
gens-là n'hésitent pas quand bon leur semble à
organiser des manifestations prônant la survie et l'existence
d'un Etat qu'ils ont acquis depuis fort longtemps. Je les respecte et
ce droit d'expression se doit d'exister universellement.
Il faut cependant que je confesse que "le bât semble
blesser". En effet, depuis sept mois que nous sillonnons cette partie
de l'Asie et tentons d'y entrer, nous avons sur notre chemin
rencontré un nombre non négligeable d'Israéliens
occupant cet espace du monde étrangement et surtout sans
gêne aucune. Cela se traduit par des attitudes souvent bien
arrogantes vis-à-vis des gens du pays qu'ils traversent.
Généralités allez-vous me dire, mais
hélas non; messieurs et mesdames les Israéliens sont en
territoire conquis et oublient où ils sont. On est souvent
venu, au détour d'un problème ou d'une
préoccupation, me parler en hébreu. "?????", ai-je
toujours répondu, en insistant sur le fait que la terre
entière ne parlait pas l'hébreu; et je l'exprimais avec
le temps et la répétition de ces interpellations
à ma façon,parfois peu diplomatique, cela dit.
Gêne donc, emprunté, mais sans désir de
jugement définitif, je le répète,
Si j'étais reste à Bangkok et y avais
travaillé (on ne sait toujours jamais), je me serais
organisé, aurais sincèrement tenté de
réunir des "réseaux" pour que des "manifs"
palestiniennes aient lieu à l'endroit où Israël
souhaite revendiquer son existence déjà bien
légitimée. Car la démocratie, me semble-t-il, ne
peut jamais exister sans équilibre des forces.
Nicolas Forzinetti
(à
suivre)