Couleurs d'Ailleurs

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Patpong, septembre 2002

Un soir, je déambule au hasard dans ce quartier insensé, haut lieu d'une prostitution déchaînée dans laquelle se vivent (et se sentent aussi) tant de drames humains, mais où règne également également l'excitation allègre et étrange de touristes européens assoiffés d'un exotisme sexuel sans limite! Ce sont des "Go-Go Bars".

Je ne souhaite ici ni décrire leur fonctionnement ni encore me draper de morale bien-pensante pour dénoncer tel ou tel aspect. Plutôt faire part d'une rencontre se suffisant à elle-même pour révéler un univers désenchanté qui porte peu à sourire.

Différents "shows" où le sexe est roi me sont décrits et l'on m'entraîne partout... J'entre dans un de ces bars accompagné de mon amie, ce qui provoque l'étonnement manifeste des filles, tellement entraînées à "aborder" l'homme seul. Elles sont visiblement peu habituées à voir un couple s'asseoir à une table pour commander deux bières.

Le temps passe, entre surprises et curiosités. Tant de filles, des dizaines, certaines parfois très jeunes, "normal", trop nombreuses pour que chacune puisse s'attribuer un client susceptible de lui rapporter un peu d'argent , souvent tout de suite envoyé à sa famille vivant à la campagne... Une fille, néanmoins, vient s'asseoir à notre table, amusée, et nous lui payons le verre nécessaire pour qu'elle reste avec nous. Commencent alors quelques propos banals sur les lieux et l'ambiance, qu'elle nous décrit comme assez calme ce soir-là. Elle nous propose alors de nous emmener sillonner la vie nocturne de Bangkok à condition que nous nous acquittions de la somme de 500 baths (environ 8 francs suisses), son droit de sortie, qu'elle doit remettre au patron de l'endroit... Une fois dehors, nous parcourons les rues et faisons halte dans quelques lieux "chauds", mais bienheureux cette fois. Les nuits de cette ville ont souvent un parfum de bonheur et de grouillements fous, la vie et les gens étant omniprésents partout!

Une fois passée l'idée que nous souhaitions coucher avec elle, elle se sent rassurée et se dit heureuse de passer une soirée différente en notre compagnie.

Sa vie... Vietnamienne; de la région du Mékong au sud de Saigon, aujourd'hui Ho Chi Minh Ville, elle est venue à Bangkok, comme bon nombre de ses "congénères", dans l'espoir de faire un maximum d'argent pour que les siens puissent se nourrir... Ce n'est malheureusement pas une situation originale. Ses parents, fermiers, ne savent pas et croient naïvement qu'elle est heureusement établie dans des bureaux et fait de l'informatique. Nous parlons longtemps, lui offrons à manger et un peu d'argent pour qu'elle puisse se payer un repas digne de ce nom le lendemain, avant de regagner son bar. Elle est esclave d'une situation semblant lui échapper, mais sourit et nous fait part d'espérances et de rêves qu'elle porte forts en elle. Ainsi passe le temps, entre confidences avouées ("Quand je fais l'amour, je ne pense à rien ou plutôt si, à mes courses ou encore à ma famille au Vietnam...") et rires longs autant que sincères. Un simple moment d'amitié en somme, qu'elle nous dit apprécier véritablement.

Quatre heures du matin... Elle nous embrasse et repart vers elle-même et son quotidien ténébreux, mais chanceux tout de même, nous a-t-elle encore confié... Nous nous regardons, mon amie et moi , entre stupéfaction et tristesse... Demain, nous serons occupés à visiter les temples de la ville...

 

Les "Routards", septembre 2002

"J'ai fait le Laos, ensuite je ferai le Cambodge..." La route semble aujourd'hui s'être transformée en une vaste industrie , laquelle chacun consomme à sa guise... On est très loin de Bouvier, Kerouac ou encore Rimbaud... "Faire le Vietnam..." comme faire ses courses ou son jogging... Absorber donc, pour "recracher" ensuite les souvenirs parmi lesquels une photo où tel visage d'une tribu aura été violé au nom d'une émotion que l'on sera fier d'avoir vécue et bien évidemment ressentie sincèrement...


La démesure de Th Khao San où les routards du monde entier se rencontrent.
Lieu de fêtes et de débauches; l'Asie la moins asiatique en quelque sorte.
Photo d'Alix Trauffler

"Th Khao San " est un quartier de Bangkok où des gens du monde entier se retrouvent afin de partir pour diverses destinations en Asie du Sud-Est... Les rencontres y sont nombreuses et souvent véritablement contrastées... Du missionnaire s'apprêtant à aller offrir ses services à une ONG au routard consommateur décrivant orgueilleusement son parcours au sein de pays lui apportant cette différence dont il se vante. C'est le pire... Une telle consommation des endroits donne un drôle de goût au voyage. Ne sommes-nous finalement que des voleurs de culture qui ramènent chez eux des images ne relatant que le pur égoïsme de notre seul plaisir? Ou avons-nous mieux à faire? Travailler, offrir un tant soit peu de notre personne, sans pour autant tomber dans la générosité mièvre? Quel tourisme donc? Y a-t-il une autre voie au simple désir d'alimenter son esprit de nouveautés?


Tous les fruits et légumes possibles s'achètent pour trois fois rien à Bangkok. Ils sont délicieux...
Photo d'Alix Trauffler


Nous avons pendant plusieurs minutes observé cette femme de la tribu Hmong
cherchant désespérément à vendre de son artisanat à une touriste.
Photo d'Alix Trauffler

Ne faire que de la route et "bouffer" de la culture sans cesse, même si cela permet un certain avancement personnel et une ouverture indéniable, je ne le veux plus. C'est la raison pour laquelle je m'apprête à me rendre sous peu à Phnom Penh, au Cambodge, pour y oeuvrer quelques mois en compagnie de prostituées souhaitant retrouver une vie sociale un peu plus digne...

Voyage, travail, écriture... Une alchimie pas toujours évidente sans compromissions ou encore sans être floué au nom de profits engendrés par une exploitation touristique plus que rodée en Asie du Sud-Est. Mais cela demeure du bonheur, des éclats dans les yeux et je me réjouis déjà de vous faire partager bientôt de nouvelles découvertes. 


Pause pour les conducteurs des cyclo-pousse. (Thaïlande)
Photo d'Alix Trauffler

La douceur thaïe séduit des Américains, octobre 2002

Chang Rai... Petite ville de cinquante mille habitants à l'extrême-nord de la Thaïlande. Tranquille et d'une douceur véritable. Les gens y sont chaleureux et sincèrement avenants avec les touristes... Beaucoup de temps et une vie de méditation bien mieux ressentie que dans des grandes villes comme Bangkok ou encore Chiang Mai, au nord aussi. Parfois, les petits endroits sont plus aptes à révéler certains aspects du mode de vie.


Femme vendant sur la rue à Chiang Rai (Thaïlande)
Photo d'Alix Trauffler

Sans vouloir paraître fleur bleue, j'y ai ressenti quelque chose d'incroyablement pur et simple. C'est vrai qu'en Thaïlande, l'on rit souvent de vos préoccupations ou de votre manière d'être. Ce n'est pas de la moquerie, mais plutôt une incompréhension curieuse et une volonté de s'approcher de vous et de vous connaître. L'échange culturel, appellerait-on ça... Souvent bien limité cela dit, car sans le thaï, le handicap est considérable au niveau de la communication.

Les Thaïs se sont faits au tourisme, s'en accommodant pleinement..., mais demeurent intrigués, comme dit auparavant, par notre manière d'être ou de faire... C'est une des richesses de la route; tenter toujours de bien écouter pour aussi mieux regarder en soi. La multiculturalité porte cette flamme...

Beaucoup d'Américains ont dans ce sens décidé du jour au lendemain de s'installer à Chiang Rai. Et il y en a, je vous assure! D'aucuns enseignent, d'autres essayent courageusement de monter un business. J'en ai rencontré deux... Bien différents, leur seul point commun étant d'être violemment critiques et sans concessions vis-à-vis de leur pays et leur gouvernement. J'ai très envie de vous faire part de ces rencontres...


Cours d'anglais pour des enfants thailandais.
Photo d'Alix Trauffler

Le premier s'appelle Jason et vit en Thaïlande depuis six mois. Il enseigne l'anglais dans une école privée à de petits Thaïlandais et suit depuis trois mois des cours de bouddhisme pour trouver, dit-il, "un autre mode de pensée et une nouvelle philosophie de vie". Régulièrement, c'est-à-dire chaque jour, il s'entretient avec des moines qui "décapitalisent" sa pensée et le mènent, par-delà les structures, au niveau du "Tout est cool et vivons dans l'instant présent". Ce sont ses paroles... Il y a encore une année, il vendait des produits pour la NASA et devait mentir à maintes reprises, m'a-t-il expliqué, pour gagner sa vie. Ce garçon est en quête d'une nouvelle pureté en quelque sorte.

J'ai de la peine à croire que l'on puisse tout délaisser ainsi, les racines étant quand même ce qui rattache à une base. "Un chez-soi" nécessaire aux ressources, d'amitié et de famille surtout, pour repartir encore... Bref, étonnante rencontre d'une personne voulant à 29 ans se refaire complètement et conquérir différemment. "Le bouddhisme permet de récupérer nos âmes délaissées et corrompues" m'a-t-il encore spécifié. Cela paraît bien stéréotypé, mais a été vécu par certains. Je pense à Cat Stevens, le fameux chanteur américain, qui lui-même s'était laissé emporter par l'Islam et n'en est jamais revenu. Peut-être le bouddhisme séduit-il par ses contraires et par une manière de voir les choses plus doucement, sans course effrénée pour ceci ou cela...

Le second Américain, lui, connaît le premier évoqué ci-dessus et le trouve insolemment faux. "Un Californien qui se la joue... Il fume trop de marijuana et confond tout..." sont ses mots. Il est de Seattle, tombé amoureux d'une fille thaïe lors d'un voyage et resté depuis lors à Chiang Rai. Il est aujourd'hui directeur d'une école d'anglais. Il tient à cette fille, mais les siens lui manquent... Il faut savoir que beaucoup d'Occidentaux tombent en amour avec des filles de ce pays et apprennent dès lors à côtoyer les familles et s'accommodent des contraintes liées au devoir d'honorer les traditions et les moeurs thaïes.

Lance, c'est son prénom, a mal d'être là; il me l'a dit et cela ce sent... Mais il aime avec passion... "Je dois faire avec..." me dit-il encore...

Deux rencontres, à nouveau entre Occident et Extrême-Orient, entre déchirures et quêtes nouvelles... Des destins croisés qui m'ont questionné. Que recherche-t-on finalement dans la partance continuelle?


Enfant de la tribu Karen. Les Karens sont des réfugiés birmans vivant
au nord de la Thaïlande pour échapper à la répression excercée par le gouvernement de leur pays.
Photo d'Alix Trauffler

 

Pensée pour Pierre Desproges, octobre 2002

Au Laos, depuis quelques jours... Luang Prabang, au bord de la légendaire rivière Mékong... Cette ville, splendide, souriante et douce, est classée patrimoine de l'humanité par l'UNESCO depuis quelques temps. Les paysages et les temples sont peut-être les plus beaux qu'il m'a été amené de voir jusqu'à maintenant... Quant aux gens, ils reflètent plus d'innocence et de véracité qu'en Thaïlande, car le Laos s'ouvre tranquillement au tourisme et conserve par ce fait une certaine pureté et un naturel plus grand face à l'Etranger... Petit pays en effet, un peu plus de 5 millions d'habitants, pris en étau entre deux géants qui lui font peur, la Thaïlande et le Vietnam, et désirant conserver sa culture coûte que coûte, malgré les influences considérables, tant économiques que culturelles, de ses deux voisins. Les couleurs françaises y demeurent omniprésentes, que ce soit dans les inscriptions désignant des devantures de commerce ou encore dans la troisième génération qui pratique un français châtié et bien maîtrisé...


Paysage montagneux à Vang Vienh. (Laos)
Photo d'Alix Trauffler

"Je n'ai jamais rencontré dans ma vie d'endroit aussi beau" avait déclaré Pierre Desproges peu de temps avant sa mort... Etant un fervent admirateur de ce monsieur, vous vous imaginez qu'il a tenu une place non négligeable dans ma découverte de ce lieu. Desproges avait, dans l'enfance, suivi son père parti au Laos pour y enseigner le français. J'ai rencontré, un soir, un homme qui m'a aiguillé vers un monsieur Lherbier ayant connu la famille Desproges... Mais malgré plusieurs recherches, je n'ai pas pu rencontrer cette personne. De plus, Desproges considérait son enfance comme "peu intéressante parce que je m'y suis fait chier". Il était donc difficile de retrouver une quelconque trace.

Cela ne m'a pas empêché de voyager à travers lui et de rire à nouveau aux citations du Sieur Desproges...

"Je n'aurai jamais le cancer... Je suis contre!" Il est mort du cancer...

"Y a plus d'humanité dans l'oeil d'un chien quand il remue sa queue que dans la queue de Le Pen quand il remue son oeil..."

"Hiroshima mon Amour, quel étrange cri... Pourquoi pas Auschwitz mon Loulou... De Marguerite Duras... Vous savez, la pelotiste sénile des infanticides ruraux... Marguerite Duras qui n'a pas écrit que des conneries, elle en a aussi filmé..."

"-Vous lisez "Minute"? -Non? Eh bien vous avez tort... Au lieu de vous faire chier à lire tout Sartre... En lisant "Minute", vous avez à la fois "La nausée" et "Les mains sales"...

Bref, beaucoup de "choses" me revenaient pêle-mêle à l'esprit et je trouvais encore un nouveau compagnon à mon voyage pour quelques instants... Compagnon, car Desproges m'a donné un certain amour du verbe et de la dérision de tout... Sans pour autant exclure la réflexion... J'admets, à ce propos, qu'il est toujours aujourd'hui pour moi quelqu'un qui compte dans mon parcours et dans ma vision des choses...

Relisez Desproges! C'est essentiel par les temps qui courent... C'est à la fois un cynisme constructif, intelligent et brillant à beaucoup d'égards... C'est un rire qui allie avec virtuosité le sadisme, la méchanceté et la tendresse (quelle alchimie savante!)

Demain, je descends en direction de Vientiane, la capitale de ce pays, et penserai fort à lui quand il écrivit un jour un livre d'entretien que je vous conseille. Son titre: "La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute".


Rue de "Guest Houses" pour routards à Vang Vienh. (Laos)
Photo d'Alix Trauffler

Errances et perditions de la pensée

Cela fait bientôt trois mois que nous sommes en route. Le mélange des idées et des apprentissages a tendance à gagner du terrain, tant le vécu se perd dans un temps qui ne compte plus. Suspension des événements et densité des "choses" rencontrées et touchées le plus humblement du doigt...


Certains enfants laotiens ne vont pas à l'école et s'occupent très tôt de leurs cadets.
Photo d'Alix Trauffler

Depuis Vientiane, capitale laotienne sans saveur, nous nous sommes "embarqués" dans un bus pour Hanoi.

J'avais très envie de retourner au Vietnam depuis que je l'avais parcouru très sommairement et trop rapidement il y a deux ans. Une envie aussi m'animait de faire partager à mon amie le sourire, l'énergie et l'intelligence d'un pays qui m'avait marqué par sa férocité et sa volonté déterminée d'aller de l'avant, de s'ouvrir et de casser les dernières barrières d'un communisme rétrograde, encore bien en place. Cette politique, unilatérale et souvent brutale, me paraît tout de même détenir une vertu, celle de préserver une authenticité bien agréable et luxueuse lorsque l'on voyage. Pas de "Mc'Do" ou autre signe d'un capitalisme fatigant dans quelque endroit de ce pays. Loin de moi l'idée néanmoins de défendre un régime s'opposant au multipartisme et antidémocratique par définition, mais plutôt une impression que cette méfiance vis-à-vis d'investisseurs étrangers, américains en particulier, a ses raisons d'être et se comprend facilement au vu de l'histoire de ce peuple...


Pêcheur sur les eaux troubles du Mekong.
Photo d'Alix Trauffler

De toute façon, le Vietnam semble avoir mieux que compris la nécessité de son ouverture sur le monde (même si des haut-parleurs "crachent" encore régulièrement des slogans dans certains endroits "paumés") et le pays a fait d'incontestables bonds en avant, notamment dans les infrastructures touristiques, les hôtels semblant avoir été multipliés par quatre, et ce en deux ans seulement... Bref, retour dans un pays que j'aime et qui me le rend bien...

Huê

Quinze heures de trajet passées, las, fatigués et cassés, par une route désastreuse (le bus ayant dû passer par le sud du Laos, la frontière logique pour atteindre Hanoi étant fermée pour cause d'inondations qui ont hélas fait leur lot de victimes annuelles au Vietnam), nous décidons d'arrêter notre voyage dans cette ville que les Vietnamiens considèrent, à juste titre, comme leur capitale culturelle. Ville où toute la création vietnamienne resplendit à travers ses monuments, théâtres, vie étudiante trépidante et histoire fascinante... Huê fut au début du dix-neuvième siècle la capitale du pays au moment où les N'guyen, dynastie fondamentale, exerçaient leur pouvoir, règne qui dura plus de cinquante ans. Les vestiges y sont nombreux, qu'il s'agisse de la splendide cité impériale ou encore des tombeaux que les empereurs de la dynastie se sont fait construire pour eux-mêmes avant leur décès (magnifique!...) Bref, je ne souhaite ici devenir guide de voyage, mais seulement dire que l'atmosphère de Huê se doit d'être vécue, comme un trésor à explorer. C'est un bain de culture, éloignée certes, mais qui porte des marques historiques bien plus que passionnantes.

Après nous être frottés à ces morceaux de passé et à ces beautés architecturales, nous avons quitté les amis vietnamiens qui avaient accompagné notre découverte et sommes partis pour Hanoi, la capitale d'aujourd'hui.

Hommage à Hanoi

J'aime si fort cette ville, la vénère presque. J'étais déjà tombé amoureux de ce lieu il y a deux ans, m'y étant rendu sur le conseil d'un compagnon passionné depuis longtemps des contrées du Sud-est asiatique. Il m'avait alors dit avant mon départ: "Tu verras, Hanoi... Passionnant, et se passant de mots. L'endroit en quelque sorte..." Il avait raison!


Une rue à Hanoi remplie d'échopes en tous genres.
Photo d'Alix Trauffler

Vrombissante, folle, mais mesurée encore dans son chaos, contrairement à Saigon; Hanoi saisit le corps et l'âme et on devient vite prisonnier de cette magie flottante... Entre lacs tranquilles (ils sont nombreux et l'on s'y repose au pied d'un arbre, loin de la fureur et du bruit des motos), une vie de rue colorée et remplie de saveurs et de parfums, une architecture coloniale française, demeurée agréable, et la vieille ville débordant d'échoppes et de marchands en tous genres, les sens s'éveillent puissamment et se dérèglent joyeusement... On se croit perdu et retrouvé à la fois, tant la vie s'offre à nous à tout instant, au coin de toute rue ou de toute interpellation, constante cela va sans dire (cela dérange d'ailleurs beaucoup certains voyageurs qui, il est vrai, sont en droit de se sentir harcelés...)

Il y a quelque chose d'indéniablement romantique à Hanoi. Comme quand une rose se marie au béton, comme si le Vietnam montrait son visage de différences et de conquêtes à travers cette capitale dans laquelle nous nous sommes vus vivre un instant pour longtemps.

Hanoi vous salue et vous invite à venir partager sa vie haute en gammes, bruits et histoire...


Traverser la route à Hanoi n'est pas toujours une mince affaire.
Photo d'Alix Trauffler

Le Vietnam sous l'angle des bizarreries

Je souris à des gens. Echange des instants de sympathie réelle... Suis quelque part, loin des circuits touristiques. Une île, Van Don, belle et accueillante; la baie majestueuse de Tu Long m'entoure de partout. Nous attisons les curiosités. Croyons comprendre, mais ne comprenons rien. Les décalages, les fosses sont si grands et j'ai un goût sincère de frustration dans ma bouche. Barrière infranchissable... Je bredouille mes sinistres mots en vietnamien, fais rire aux éclats et ne peux aller plus loin. J'aimerais tellement pourtant.

Regards chaleureux, bonjours surgissant de partout -ces visages curieux et bienveillants, je les porte en moi comme un vrai bonheur. Le fait de ne pas parler leur langue crée quelque chose d'étrange, situé entre bien-être et tristesse.

Cette île se situe au nord-est du Vietnam et vit essentiellement de la pêche. Logique… Après l'île de Cat Ba (point de départ pour la très prisée Baie d'Along), laide par son évolution (hôtels hideux construits à la va-vite), nous voici sur une île encore à l'abri des assauts financiers mal réfléchis. Un peu perdus… La route pèse, grandit, ouvre ses bras et amène son lot de questions.


Village de pêcheurs entre Cat Ba et la baie d'Along.
Photo d'Alix Trauffler

Un défi… Oui, nous en avons plus que besoin; oui, nous pourrions continuer jusqu'en Chine dont nous ne sommes qu'à une centaine de kilomètres, mais nous ressentons cette envie de rythmer autrement notre quotidien. Autour du 15 novembre, nous prendrons nos quartiers au Cambodge, à Phom Penh, et essaierons modestement d'appuyer et d'aider comme nous le pourrons des prostituées. Nos affaires, nos sacs posés dans un appartement, nous tenterons de nous intégrer et d'aller plus loin dans la compréhension qui échappe très souvent lorsque l'on ne fait que de passer…

L'exigence grandit, les envies se colorent et cette nécessité de chercher dans le renouvellement constant, en étant cette fois-ci installé quelque part, est aujourd'hui intangible…

Destins croisés, vies traversées, et nous? Où? Comment? …Bientôt donc d'une manière différente, même si nous aimons toujours cette route semée de contradictions qui se complètent et se démultiplient. Dans ce sens, nous vous envoyons un morceau de regard sur nous-mêmes et vous embrassons.

Volontés d'intégration et de vie nouvelle

Ce qui constitue un aspect passionnant de notre voyage, c'est le nombre important de rencontres avec des expatriés que nous faisons le long de notre route. Le temps étendu dont nous disposons (luxe du fleuve tranquille…) permet aussi de faire plonger nos pensées dans certaines racines inconnues… Peut-être, et c'est plus que vraisemblable en fait, que la volonté de s'installer ici ou là faisant son chemin dans nos esprits, le hasard nous offre son lot de personnages ayant "cédé'' au désir de vivre au Laos, au Vietnam ou ailleurs, loin de chez eux et pour longtemps. J'avais déjà évoqué la rencontre de deux Américains en Thaïlande à ce propos, mais souhaite approfondir en racontant brièvement d'autres personnes.

Ce qui frappe souvent après quelques temps de dialogue, ce sont les tourments, lassitudes et enragements contre un Occident les ayant petit à petit éteints et essoufflés. Un quotidien et des habitudes desquels ils ont un jour décidé de s'extirper en s'installant, en créant et souvent en se mariant… Ayez à l'esprit qu'il est la plupart du temps très difficile pour un étranger d'obtenir un droit de résidence au Laos ou au Vietnam (contrées communistes toujours très "fliquées" à certains égards) sans être lié de près ou de loin à une personne du pays. Le mariage devient donc souvent la condition sine qua non pour demeurer sur les terres du pays élu. On compte à ce propos un nombre incalculable de mariages franco-vietnamiens…

Bref, quelques exemples qui illustrent mes propos ou les contredisent, paradoxe de ce qu'on entend et de ce qu'on sait ensuite tout à fait concrètement.

Alain, un Français chez qui nous avons presque vécu entièrement au Laos pendant une semaine, est un personnage atypique et souvent déstabilisant. Il vit d'une rente invalidité qu'il touche en France et ne fait rien. Il est alcoolique et en proie à un désespoir certain face à un Amour, une femme laotienne, qui lui a donné un enfant vendu à peine au monde et qu'il l'a délaissé ensuite… Cet homme garde malgré tout une lumière dans ses yeux et un attachement charnel à cette terre sur laquelle il laisse le temps s'écouler sans plus guère cultiver l'espoir. Triste, mais un être digne avec un discours parfois incohérent, mais si passionné. Son affection pour le peuple laotien s'est d'ailleurs fréquemment développée sous nos yeux (malgré une langue lao bien hésitante, au vu des années passées ici…)

Jérôme, dans la trentaine, est définitivement tombé sous le charme du Laos et cherche avec une volonté sans faille à y faire quelque chose. De la musique, guide de voyage... il ne sait pas trop. Il explore… Beaucoup d'"embrouilles" lui sont tombées dessus, mais il persiste avec une philosophie instructive sur beaucoup de points, nous qui avons l'habitude de calculer, de raisonner trop et d'éviter finalement la prise de risques qui exclut à un moment donné ou à un autre la vraie richesse… Je tiens encore à vous dire mon admiration pour sa maîtrise quasi-parfaite du lao. Et en peu de temps… Nous nous mettons actuellement à l'apprentissage du khmer en vue du Cambodge et, vous vous en doutez bien, la difficulté est énorme, tant la manipulation des tonalités et de cette musique, inhérentes aux langues du Sud-est asiatique, paraît insurmontable…

Philippe, lui, et c'est l'exemple le plus courant, a ouvert un restaurant à Hanoi et marié une Vietnamienne qui lui a donné un enfant. Il est parvenu, de façon perspicace, à user d'un ressort essentiel pour les expatriés: la cuisine de leur pays... Evidemment, même si la "bouffe'' vietnamienne détient de remarquables vertus (dont je ne parlerai pas maintenant), il est parfois bien agréable d'offrir à son palais des saveurs qui nous rappellent que la cuisine française, à défaut de la qualité de la vie, demeure une des meilleures au monde...

Voilà ce qu'il faut faire nous sommes-nous dit: investir dans quelque chose et rester. Mais le danger est là... "Se casser la gueule" est parfois plus fréquent que réussir à tenir bon dans un projet forcément fragile au départ. D'autres rencontres nous l'ont à quelques reprises démontré, car les règlements étranges, tracas administratifs (et injustices aussi: on n'est pas occidental sans le payer par moments) existent vraiment.

Nous verrons bien... Nous continuons toujours de nous laisser bercer, mais notre vigilance et l'attention sont là! Au Cambodge où nous vivrons sous peu, et je le répète encore -c'est sûrement une volonté d'exil qui pointe son nez-, les découvertes, explorations et rencontres auront sans aucun doute la possibilité d'être plus approfondies et se feront plus posément...

P.S.: Alain, Jérôme et Philippe sont des prénoms d'emprunt.

Parfums de bien-être

Les montagnes du Nord-ouest vietnamien... Comme un conte de fées, quelque chose qui vous saisit tout entier et ne vous lâche pas. Un vrai rêve qui se brise néanmoins d'entrée avec les dégâts qu'y fait le tourisme de masse sur les tributs montagnardes à Sapa, principale destination des voyageurs, à trente kilomètres de la frontière chinoise.


Les paysages grandioses du Nord-Vietnam.
Photo d'Alix Trauffler

Des femmes Hmong et Dzao vous abordent constamment, en anglais et en français, pour vous vendre leur produits artisanaux; et alors toute l'authenticité s'efface devant le Dieu dollar que nous représentons sans aucune possibilité de questionnement pour elles... Les montagnards ont vu leur vie se dérégler au fur et à mesure que l'exploitation touristique grandissait et cela fausse forcément toute l'approche de ces gens encore habitués il y a peu à vivre de la terre et de la culture du pavot (l'opium est d'ailleurs vendu librement sous le regard des autorités).


Petites filles Hmong courant sous le regard intrigué d'un touriste.
Photo d'Alix Trauffler

Ou se placer? Que penser? Un mal-être règne dans ce lieu ravagé par des constructions à nouveau très laides. Pourtant le site est d'exception et les montagnes hautement inspirantes. Il faut partir... Nous le décidons... En moto et sans savoir vers où... Nous roulons, roulons sur des routes qui rafraîchissent et sentent meilleur, la vraie vie d'ici...

C'est beau, ces montagnes sont si grandioses et les sourires que nous croisons dans les villages nous paraissent moins corrompus. Ça fait du bien... Nous savons cependant que l'on veut souvent le voyage pour soi tout seul et autrement... Désir naïf d'un monde qui s'uniformise de manière apeurante et devient donc accessible sans réflexion. Et pourtant...


Enfants d'une tribu au Vietnam posant fièrement pour la photo.
Photo d'Alix Trauffler

La nuit tombe... La volonté de se perdre est recherchée volontairement. Une famille nous accueille, nous nourrit et nous loge; le village accourt. Nous devenons des attractions... Jusque là presque normal et bien appris, mais quelque chose s'installe, paraissant sincère. Les gestes, écritures et mots divers battent alors leur plein dans une incompréhension qui bâtit étrangement une complicité. C'est un sentiment puissant et il paraît nous dire que nous ne nous trompons pas... S'ouvre dès lors devant nous une nuit d'étoiles et de questions, mais jamais de craintes dans ce lieu qui paraît si perdu.

A sept heures du matin (les journées commencent vers cinq heures dans les campagnes vietnamiennes pour s'éteindre vers dix-neuf heures, couvre-feu imposé par le gouvernement), nous repartons encore bredouilles et enivrés, mais comme purifiés par quelque chose... Si l'âme est capable encore de s'élever, elle l'a fait dans ces instants, dans cette nuit qui se grave comme du plomb dans nos coeurs... Nous reprenons notre chemin et essayons de ne pas occulter de nos esprits la dureté qui attend ces gens. La majorité de cette famille travaille à la restauration des routes de cette partie du pays pour des salaires de misère; routes sur lesquelles bon nombre de touristes comme nous n'aurons bientôt plus à nous plaindre de l'état quand elles seront intégralement achevées... A nouveau, cette étrange sensation d'avoir volé quelque chose pour notre seul compte personnel...

Mais leurs adieux et sourires nous réchauffent et nous rappellent à l'essence du mot SINCERITE...

Le Vietnam et la littérature

Extrait d'une introduction des "Contes populaires du Vietnam": "Au Vietnam, tandis que les fables s'attaquent discrètement et prudemment aux travers sociaux - souvent par le truchement d'animaux - les contes malicieux ou égrillards, très nombreux avec la décadence féodale, le font d'une façon beaucoup plus brutale, affichant ouvertement leur mépris envers les puissants.

La gamme du rire en vietnamien est infiniment riche. Le regretté essayiste Nguyen Tuan a trouvé cent cinq expressions vietnamiennes pour désigner les nuances du rire. Il est allé jusqu'à affirmer "sans rire" que le rire et l'humour sont un facteur de survie du peuple vietnamien dont le pays est "sans cesse aux prises avec les typhons, la sécheresse, les pluies diluviennes, les inondations, les insectes. Face a cette nature impitoyable et aux incessantes agressions, dans les conditions d'une société féodale inhumaine, s'il n'existait ni fleurs éternelles ni rires homériques, notre peuple n'aurait pu prolonger son existence jusqu'à ce jour." ("De la nécessité du rire" in Le Vietnam en marche, Numéro 6, 1963)

Les lettres vietnamiennes se portent à merveille et s'avèrent passionnantes. Le "Temple de la Littérature" a Hanoi est l'endroit culte qui rend hommage aux lettrés de ce pays. Les Vietnamiens manifestent d'ailleurs souvent une curiosité et un amour d'apprendre dont nous sommes restés sous le charme.

 


Les moines en ballade protègent leur tête d'un soleil assassin.
Photo d'Alix Trauffler

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